MuseLetter 206 – June 2009 (French translation)

July 8, 2009

Ce mois-ci, la Museletter réunit deux articles qui partagent un thème commun : l’Humanité est-elle capable de réaliser les changements nécessaires au sauvetage de la planète et par la même occasion à son propre sauvetage ?

Le premier article “Look on the bright side (“Regardez le bon côté des choses”) traite cette question avec en perspective les énormes mutations qui sont d’ors et déjà en cours et qui résultent du déclin économique.

Somebody’s Gotta Do It (“Quelqu’un doit le faire”) explore la difficulté du travail consistant à conduire les changements et la hauteur des défis à relever par tous ceux qui souhaitent les mener.

Look on the Bright Side (“Regardez le bon côté des choses”)

Dernièrement, j’ai commencé à rassembler une liste de choses dont on peut se réjouir. Voilà quelques points qui devrait décrocher un sourire sur les lèvres de n’importe quel environnementaliste :

  • La consommation mondiale d’énergie est en déclin. C’est vrai : la consommation de pétrole est en baisse, la consommation de charbon est en baisse et l’AIE estime que la consommation mondiale d’électricité déclinera de 3,5 % cette année. Je suis sûr qu’il est possible de trouver quelques pays pour lesquels la consommation d’énergie est encore en hausse, mais pour les Etats-Unis, la Chine et la plupart des pays européens, ce n’est plus le cas.
    Une petite armée d’auteurs et d’activistes, moi inclus, ont soutenu depuis des années que le Monde devrait volontairement réduire sa consommation d’énergie car les taux d’utilisation actuels sont insoutenables pour plusieurs raisons incluant le fait que les énergies fossiles se raréfient. Oui, nous devons nous doter capacité d’énergie renouvelable et n’utiliser que cette capacité, mais remplacer l’énergie issue des énergies fossiles est un travail de Titan, et nous pouvons nous rendre la tâche moins décourageante en réduisant notre consommation globale d’énergie. Voilà tout.
  • Les émissions de CO2 chutent. Cela découle du point précédent. J’attends encore une confirmation par des mesures directes de l’agence NOAA mais il va sans dire que, si les consommations de pétrole et de charbon sont en déclin, les émissions de carbone doivent connaître le même sort. La crise économique a accompli ce que le protocole de Kyoto n’a pas réussi à faire. Hourra !
  • Tous les environnementalistes que je connais passent une bonne partie de leur temps à se prononcer publiquement comme personnellement contre le consumérisme. Nous consommons beaucoup trop dans nos pays industrialisés et nous surconsommons des biens qui proviennent des ressources naturelles (renouvelables comme non renouvelables) ; la terre s’épuise, les ressources en eau s’épuisent, les terres arables, le lithium, l’indium, le zinc, l’antimoine…la liste est longue. Des livres ont été écrits pour essayer de convaincre les gens de simplifier leur mode de vie et de moins consommer, des films ont été produits et diffusés à la télévision et des groupes de soutien se sont formés pour aider les ménages à changer leurs habitudes mais malgré cela la consommation massive a persisté…jusqu’ici. Ce dragon n’est peut-être pas encore pourfendu mais, en tout cas, il se recroqueville dans sa tanière.
  • La mondialisation s’inverse (le commerce mondial diminue). Au début des années 80, lorsque la mondialisation était un nouveau mot, une organisation d’activistes brillants a créé le forum international sur la mondialisation (IFG) pour informer le public sur les coûts et les dangers de cette tendance en constante accélération. Les grandes entreprises exportaient leur production et leur pollution, brisant les manufactures des pays industrialisés historiquement les plus dynamiques et riches alors qu’elles exploitaient sans scrupules la main d’œuvre à bas-coût des pays pauvres et moins industrialisés. Le forum a été capable de faire évoluer les discours officiels sur la mondialisation, assez pour ralentir un peu l’expansion de l’organisation mondiale du commerce (OMC), mais le commerce mondial a tout de même continuer d’essaimer. Plus maintenant. Les exportations de la Chine et du Japon connaissent un fort recul, alors que la balance commerciale des Etats-Unis connait le déficit.
  • Le nombre de kilomètres parcourus par les véhicules chute. Depuis des décennies, le nombre total de kilomètres effectués par toutes les voitures et camions sur les routes des Etats-Unis n’a jamais cessé de croître. C’était un argument de poids pour justifier la construction de nouvelles routes. Les gens ont acheté plus de voitures et les ont conduit toujours plus ; les camions ont rempli les usines et les magasins à un rythme sans cesse grandissant et les camions de livraison ont délivré toujours plus de colis aux gens faisant du shopping en ligne depuis leur domicile. L’ensemble de ces attitudes a conduit à produire toujours plus de pneus, plus d‘asphalte, à consommer plus de carburant et à causer plus de dommages environnementaux. Durant ces derniers mois, le nombre de kilomètres parcourus par des véhicules a substantiellement et continuellement baissé, dans une proportion jamais vue depuis que des études existent sur le sujet. Quelle excellente nouvelle !
  • Il y a moins de voitures sur les routes. Les gens se débarrassent de leurs vieilles voitures plus vite qu’ils n’en achètent de nouvelles. Aux Etats-Unis, où il y a aujourd’hui plus de voitures sur les routes que le nombre de conducteurs ayant un permis, cela représente un tournant exceptionnel effectué après une si longue tendance rectiligne. Dans son merveilleux ouvrage Divorce your car(« Divorcez de votre voiture »), Katie Alvord détaille les coûts environnementaux exorbitants du tout-automobile. Evidemment, son livre n’a pas stopper le flux : il fut publié en 2000 et des millions de voitures furent jetées sur les routes les années suivantes. Mais aujourd’hui les constructeurs automobiles mondiaux essaient désespérément de se préserver de la faillite qui les menace, simplement car les gens n’achètent plus. En effet, durant les 4 premiers mois de 2009, il y a eu plus de vélos vendus que de voitures et camions réunis (plus de 2,55 millions de vélos contre 2,4 millions de voitures et de camions). Carrément cool !
  • La planète est surexploitée, le système financier basé sur la dette est en train de s’écrouler. La croissance de la consommation est en train de tuer la planète, mais contester la croissance économique est rendu difficile par le fait que la plupart des richesses du monde sont essentiellement empruntées durant notre l’existence et ces emprunts doivent être remboursés avec intérêt. Par conséquent, si l’économie ne croît pas et que plus d’emprunts ne sont pas faits afin de créer plus d’argent, le résultat est une série de défaut de paiement et de saisies qui ruinera le système entier. Ce système n’est pas viable sur la durée étant donné que les ressources mondiales (la base essentielle de toute activité économique) sont limitées et finies. En outre, comme les partisans des économies écologique et biophysique le disent depuis des années, ce système doit être remplacé par un autre qui peut encore fonctionner dans des conditions de stabilisation ou de contraction des taux de consommation. Bien que cette alternative ne soit pas encore mise sur la table par les leaders des gouvernements, ils sont au moins forcés de considérer (même s’ils ne font pas encore publiquement) la possibilité que le système actuel a de sérieux problèmes et qu’il aurait besoin d’une restructuration approfondie. C’est une bonne chose.
  • Le jardinage devient sexy. Selon le New York Times (“College Interns Getting Back to Land”, du 25 mai), des milliers d’étudiants collégiens vont effectuer leur stage d’été dans des fermes cette année. Dans le même temps, les compagnies productrices de graines connaissent des difficultés à satisfaire la forte demande issue de l’explosion des potagers individuels. Le fermier urbain Will Allen prédit qu’il y aura 8 millions de nouveaux jardiniers cette année et que le nombre de nouveaux jardins potagers augmentera de 20 à 40 % cette saison. Depuis que le pic de production de pétrole est passé, il va y avoir moins de pétrole disponible dans le futur pour alimenter en carburant l’agriculture industrielle. Nous allons donc avoir besoin de plus de jardins, de plus de petites fermes et de plus de fermiers. Peu importe les motivations de tous ces étudiants et de ces jardiniers du dimanche, rares sont ceux qui ont un jour entendu parler du pic pétrolier et beaucoup de ces jardiniers sont probablement plus inquiets de savoir s’ils pourront remplir leur garde-manger l’hiver prochain mais ils adoptent la bonne attitude. Et c’est quelque chose qui mérite d’être applaudi.

Mais attendez, avant que nos acclamations deviennent frénétiquement incontrôlables, nous devrions nous arrêter un peu et nous rappeler que toutes ces évolutions sont dûes à une crise économique qui a un coût énorme. A l’exception du paragraphe précédent (et peut-être de certains de ces vendeurs de vélos), nous ne sommes pas en train de parler d’attitudes volontaires nées de la prudence ou l’intelligence collective. Quelque soient les bénéfices pour la suite que ces tendances engendrent, elles signifient tout d’abord des coûts humains énormes en termes de chômage, de précarité de logement et d’épargnes perdues. Essayons de pousser la tendance à l’extrême. Que se passerait-il si un milliard d’humains mourraient de faim ou de la grippe porcine durant les 10 prochaines années ? Cela enlèverait beaucoup de pressions aux systèmes naturels. Cela donnerait plus de places aux autres espèces pour fleurir et la consommation de ressources naturelles (pétrole, charbon, eau et autres) déclinerait dramatiquement, améliorant  ainsi les perspectives économiques des survivants. D’un certain point de vue, ce cauchemar inimaginable pourrait être considéré comme une bonne chose bien qu’aucune personne qui l’aurait vécu ne le verrait de cette façon. Petite parenthèse, il est important de noter que cette façon de penser les choses peut être dangereuse. Certains scribouillards de l’Institut Cato représentant les intérêts du commerce libre sont en train de lire ces lignes en ce moment, tout comme vous, en choisissant les prochains gros titres de leur revue de presse. « Les environnementalistes se délectent de l’effondrement de l’économie » ferait un bon titre, ou « Les environnementalistes veulent que des milliards d’humains meurent ! », une façon d’écrire avec violence afin de détourner l’attention de leurs mères sur le fait que la contraction de l’économie peut en fait avoir des effets bénéfiques. Et à ce que j’en sais, la plupart des autres écrivains environnementaux ont plutôt joué la prudence à cet égard. J’ai franchi la ligne ici, alors observez bien. Je pourrais bien nous mettre tous en mauvaise posture. Maintenant, revenons à nos moutons.

Au cœur du problème, le dilemme est le suivant : Nous, humains, avons dépassé les limites de capacité que la Terre possède à travers la surpopulation et la surconsommation et avons crée bien d’autres problèmes en le faisant (notamment le changement climatique). Mais la nature s’occupera de ces problèmes. Le problème de surpopulation sera éventuellement réglé par la faim ou la maladie. La surconsommation sera ralentie par l’épuisement des ressources et la raréfaction. Résoudre le changement climatique prendra plus de temps, peut être des milliers de millions d’années, si l’on part sur l’hypothèse qu’on ne transforme pas la Terre en deuxième Vénus. Mais les façons dont la nature règlera nos problèmes ne vont pas être agréables. De ce fait, l’énorme et primordiale question à laquelle notre espèce sera confrontée durant le reste de ce siècle sera : sommes-nous capables, nous les humains, d’échapper au rééquilibrage naturel afin de pouvoir, de façon proactive réduire notre population et notre consommation à des échelles nous permettant de vivre en accord avec la nature ? Si vous parcourrez l’ensemble de la littérature environnementaliste du siècle passé, c’est l’essence même de la plupart des ouvrages. Jusqu’ici, cette littérature n’a pas eu les effets qu’elle désirait : notre espèce a continué son expansion que ce soit en termes de nombre ou d’impact par individu.

Mais les observations soulignées dans les précédents paragraphes suggèrent que nous avons pris un tournant. Il n’est plus une question de savoir si la nature rééquilibrera « éventuellement » l’expansion turbulente de l’humanité. Elle a déjà commencé à le faire.

Et ce n’est pas encore dû au changement climatique : oui, nous observons des impacts catastrophiques en terme de fonte des glaciers et tout cela, mais ces impacts, en eux-mêmes, n’ont pas tempéré l’infernale machine économique. Au lieu de ça, c’est la diminution des ressources qui a commencé à ralentir l’effrayant train de l’industrialisation. Durant les 2 ou 3 dernières années, les prix élevés de l’énergie ont fait éclaté l’insupportable bulle immobilière et ont levé le voile sur dérives de vacillants marchés financiers. C’est bien cela qui a toujours été le cœur des débats sur le pic pétrolier : une tentative d’identification de la ressource clé dont la raréfaction ferait basculer l’économie de la croissance à la contraction. Mais attendez : cet article était supposé nous aider à regarder les choses du bon côté. On dirait que la discussion s’assombrit, là.

Okay, voilà ce que je pense : nous avons atteint l’inévitable point de rupture. La croissance aveugle qui a accaparé le monde durant les décennies passées est en passe de se terminer. Même si nous connaissons de courtes périodes de croissance économique, cette croissance se fera dans un contexte global de contraction significative de l’économie et ne sera que temporaire dans tous les cas, étant donné que la diminution du pétrole disponible et les contraintes sur les autres ressources amortiront rapidement la croissance de l’activité économique. Progressivement, alors que la « reprise » sera repoussée au mois suivant puis à l’année suivante, puis à l’année d’après, les gens pourraient commencer à réaliser que la phase d’expansion de l’ère de l’énergie facile est finie. Il n’y a bien sûr aucune garantie sur le fait que le peuple et ses décideurs économiques et politiques finiront par comprendre ça car l’envie de s’accrocher à l’illusion de la croissance sera très forte. Mais si la souffrance persiste, il y a au moins une chance que la compréhension finira par éclore dans la conscience collective de notre espèce, que le fait que nous devons échapper aux rééquilibrages de la nature et délibérément réduire l’échelle de l’entreprise humaine à des attitudes qui maximisent les perspectives des générations actuelles comme des générations futures finira par pénétrer les consciences. Mais tout le monde n’arrivera pas automatiquement à cette conclusion de lui-même. Un changement fondamental de notre compréhension de la condition humaine dépendra de plus en plus des intellectuels publics véhiculant le message d’une adaptation délibérée aux limites, afin que la population acquiert les outils conceptuels nécessaires lui permettant de comprendre les nouvelles circonstances. On aura également besoin de plus de gens travaillant sur les éléments pratiques de la transition. Ce seront des besoins continus, une opportunité de croissance, si vous pardonnez l’ironie, pour des jeunes gens intelligents et logiques intéressés par la création de quelque chose de différent. Et ils connaitront d’autant plus de succès qu’ils trouveront de manières de présenter les bons gestes et les changements d’attitudes nécessaires sous un jour entrainant et intéressant, comme l’Initiative de Transition le fait si brillamment.

C’est dans ce sens que, quand je dis « Regardez le bon côté des choses »,  je ne fait preuve ni d’ironie ni de sarcasme.

Somebody’s Gotta Do It (Quelqu’un doit le faire)

(Publié le 4 mai)

Bonjour. Mon métier est de sauver le monde, et je voudrais vous raconter un peu en quoi il consiste.

Tout d’abord, c’est un métier que j’aime. Je me sens bien en l’exerçant et je rencontre des tas de gens intelligents et intéressants. Je suis amené à voyager dans des endroits emballants pour donner des conférences et certaines personnes, au moins, respectent mes efforts (même si beaucoup d’autres pensent que je suis fou ou manipulé).

Ce n’est pas une sinécure. Les plus grands problèmes quand on essaie de sauver le monde sont : premièrement, qu’il ne semble pas toujours vouloir être sauvé et deuxièmement, que ceux d’entre nous qui essaient de le sauver n’arrivent pas à se mettre d’accord sur pourquoi ce sauvetage est nécessaire et comment y arriver. Laissez-moi vous expliquer.

Quand je dis “sauver le monde”, je veux dire éviter à la civilisation humaine de s’effondrer d’une manière chaotique et violente qui entrainerait d’énormes souffrances et de morts. Je veux également dire préserver le monde naturel, c’est-à-dire minimiser l’extinction des espèces et la disparition d’habitats sauvages. Je considère l’importance de ces deux priorités de manière équivalente du fait qu’elles sont étroitement corrélées : si la civilisation tombe dans le chaos, des milliards de gens exerceront des dommages énormes sur les écosystèmes restants dans leur tentative désespérée de survivre ; et si la nature disparaît d’abord, cela signifie que la civilisation aussi car nous avons besoin des services que nous rendent les écosystèmes pour tout ce que nous faisons. Mais tout les gens travaillant à temps plein pour sauver le monde n’ont pas le même ordre de priorité. Il y a des sauveurs du monde qui se sentent seulement (ou primairement) concernés par le bien-être humain. Certains d’entre eux se soucient uniquement de sauver l’âme des gens en leur faisant adhérer à un ensemble d’idées ou de croyances : pour eux, le monde a besoin d’être sauvé parce qu’il est mauvais.

D’autres sont soucieux des droits de l’Homme ou de la justice économique ou du règlement des conflits internationaux ; pour eux, les plus grandes menaces pour notre survie viennent des autres. Et puis il y a ceux qui en sont arrivés à la conclusion que le défi que nous devons relever pour survivre est d’abord environnemental : la disparition des ours polaires ou des abeilles, l’abattage des forêts primaires, la diminution des ressources ou encore la contamination de l’atmosphère et des océans.

C’est un problème. Si nous, les sauveurs du monde, ne pouvons pas nous mettre sur une ligne commune quand on parle du diagnostic du mal, nos efforts sont voués à manquer de cohérence et leurs effets pourraient même s’annuler l’un l’autre. Sans doute, il y a des humanitaires à plein temps qui pensent que le monde doit être sauvé des gens comme moi, les incrédules, et qui insistent sur le fait que la taille de la population humaine doit être réduite.

En outre, si nous les sauveurs du monde professionnels ne pouvons pas nous mettre d’accord sur ce qu’est le problème, comment pourrions-nous même savoir qu’il y a un problème ? Le monde serait peut-être meilleur si nous avions utilisé nos énergies personnelles à faire quelque chose d’autres, par exemple en essayant de savoir comment devenir riche, ou donnant des cours à l’école élémentaire ou encore en inventant la nouvelle génération de réseau social en ligne.

Mais bon, je suis personnellement convaincu que le monde a quelques défis sans précédents à relever, sinon je ne ferai pas ce métier. Je pourrais en écrire des pages (et je l’ai déjà fait) à propos de la nature de ces défis, de quoi ils résultent et sur ce qui devrait être fait pour les relever, mais je ne ressens pas le besoin de me répéter ici. Suffit-il de dire que je pense que nous, les humains, par notre nature profonde, et par les règles biologiques de notre existence, aurons toujours des problèmes du genre assez prévisibles mais que nous avons récemment eu accès à des sources d’énergies concentrées mais non-renouvelables qui nous ont permis de faire grossir notre population et nos appétits pour les commodités de toutes sortes jusqu’à des niveaux insoutenables et qu’à travers le processus de combustion des carburants fossiles, nous avons mis en mouvement un processus de changement climatique qui s’est enclenché et s’emballe rapidement. Cela va être un nœud serré de problèmes à dénouer car cela implique de changer les modes de vies des gens et leurs projets, en partageant la générosité naturelle décroissante des ressources naturelles plutôt qu’en se battant pour des miettes et en trouvant des manières de réduire la population sans interférer trop avec le respect des droits de l’homme.

Pour moi, tout cela semble évident, imprégné comme je le suis de données montrant les limites des diverses ressources, les conséquences probables de la croissance continue de l’économie et de la population et l’aggravation rapide des dommages à notre environnement (et par la même à la capacité de notre planète à supporter de futures générations d’humains). Mais je rencontre souvent des personnes sincères et dévouées qui voient les choses tout à fait différemment. Ceci étant dit, en l’absence de consensus entre nous, pouvons-nous, en tant que sauveurs du monde, accomplir quelque chose d’utile ?

Eh bien, il existe un point de consensus après tout. Ces jours-ci, la plupart des sauveurs du monde environnementalistes semblent se concentrer sur le changement climatique résultant des émissions de gaz à effet de serre, presque jusqu’à l’exclusion de tout autre thème d’intérêt. Si vous avez un jour l’occasion de participer à une rencontre d’activistes environnementalistes,  il est probable que vous entendrez toutes les discussions tourner autour des émissions de dioxyde de carbone, des cibles de réduction des émissions, des stratégies de réduction d’émissions, des scenarii sur les futures émissions, et de la sensibilité du climat aux différents niveaux d’émissions. Mais même au milieu d’une foule anti-carbone toujours plus nombreuse et bruyante, différentes opinions existent sur la tactique à adopter : certains (comme le Dr James Hansen de la NASA, que l’on peut considérer comme un des scientifiques nationaux les plus reconnus aux Etats-Unis en matière de climat) défend les taxes carbone, en considérant que les politiques de limitation du commerce prendront trop de temps à se négocier et peuvent être orientées dans diverses directions ; d’autres (comme l’auteur Bill McKibben, que l’on peut considérer comme un des activistes les plus reconnus aux Etats-Unis en matière de climat) défend les politiques de limitation, considérant que toute nouvelle taxe quelle qu’elle soit constitue un non-départ pour toute politique, au moins ici aux Etats-Unis (ne vous inquiétez pas : Hansen et McKibben sont encore amis). Beaucoup d’organisations environnementales conventionnelles soutiennent le concept d’un marché du carbone, dans lequel les permis d’émettre du CO2 seraient titrisés et échangés commercialement ; mais les Amis de la Terre ont fait publié un papier intitulé “les subprimes du carbone”, argumentant le fait qu’un marché des permis d’émettre du carbone entrainera des « futures contrats d’émettre du carbone qui comporteront un risque non négligeable de non respect des engagements », aboutissant à une bulle de carbone et à un éventuel effondrement des valeurs des titres. Tandis que « world-savers» (« Sauveurs du monde ») créé par les grands conglomérats énergétiques (je mets le terme entre parenthèse cette fois car, bien que ces mecs agissent comme s’ils étaient sincères sous de nombreux aspects, leur vrai priorité n’est pas de sauver le monde humain ni la nature, mais juste certaines compagnies ou industries) veut que les permis carbone soient distribués aux pollueurs existants, quasiment tout le reste des gens pensent que les permis devraient être titrisés. La plupart des projets de loi existants au congrès sur des systèmes de permis d’émissions payants (comme le projet Waxman-Markey) prévoit que les recettes issues de la vente des actions aillent au gouvernement, mais de nombreux activistes (comme Peter Barnes, l’auteur de Capitalism 3.0) disent que les recettes devraient être distribuées équitablement entre tous les citoyens afin de les dédommager pour les augmentations des prix de l’énergie qui résulteront des permis d’émettre.

La politique américaine sur le climat sera bientôt actée par le Congrès et on planchera ensuite sur une politique globale à Copenhague, c’est pour cela que les sauveurs du monde environnementalistes travaillent  sans relâche ces jours-ci afin que leurs propositions et leurs projections soient entendues.

Le fait que tant d’entre nous soient aujourd’hui concentrés sur le même problème est une bonne chose, particulièrement depuis que ce problème est devenu une question de survie. Mais je crains que des détails essentiels soient ignorés dans ce processus. Je vous donne un exemple-clé.

Réduire les émissions de carbone veut d’abord dire utiliser moins de charbon, de pétrole et de gaz (puisqu’on peut admettre que la capture et le stockage du carbone sont irréalistes à n’importe quelle échelle que ce soit autrement que par reforestation ou régénération de pratiques agricoles adaptées). Comme les sources d’énergies dites « propres » ne peuvent probablement pas atteindre un niveau aussi important qu’il le faudrait pour remplacer entièrement les carburants fossiles, cela veut dire que notre monde aura moins d’énergie à sa disposition pour fonctionner. (Il est certain qu’il aura bientôt moins d’énergie pour fonctionner car les carburants fossiles sont non-renouvelables et le pic de production de pétrole est désormais passé et la production en déclin…mais ne me laissez pas partir là-dessus).

Historiquement, il y a toujours une étroite relation entre la croissance de la consommation d’énergie et la croissance économique donc avec moins d’énergie disponible, il ne sera peut-être plus possible de faire croitre l’économie par les voies habituelles. Pratiquement aucun des représentants de la communauté climatique ne veut parler de ça parce que cette hypothèse forte selon laquelle les politiques efficaces en matière de changement climatique auront un coût économique significatif rend ces politiques bien moins acceptables pour l’homme de la rue et assurément pour les politiciens. Mais je pense que nous devrions accorder beaucoup plus d’importance à cet état de fait, quelque désagréable qu’il soit : le fait est que nous avons un modèle d’économie qui est construite uniquement sur la croissance. Si elle s’arrête de croître, comme cela s’est produit durant ces 6 derniers mois, le résultat est perçu comme une catastrophe. Si l’approvisionnement mondial en énergie commence à se contracter, nous aurons besoin d’un type d’économie différente, d’une économie qui peut encore fonctionner  alors que la consommation d’énergie et de matériaux est stable ou décline. Mais nous n’allons pas, ne serait-ce qu’essayer d’en dessiner les contours, tant qu’il n’y aura pas plus de gens qui commencent à dire la vérité telle qu’elle est sur où nous en sommes et où cela nous mène.

Cela pointe du doigt un des dilemmes qui va de pair avec le fait d’essayer de sauver le monde : est-ce qu’un d’entre nous devrait juste dire la vérité sans crainte, ou devrait-on plutôt essayer de véhiculer le message d’un autre d’entre nous à travers un cadre qui le rendrait acceptable par une majorité de gens? Les deux options ne s’excluent pas toujours mutuellement mais elles ne sont pas non plus exactement équivalentes. Vous voyez, la plupart des gens ne veulent pas être trop alertés et ne veut pas entendre parler des problèmes auxquels il n’existe pas encore de solution toute prête. C’est pour cela que les sauveurs du monde essaient fréquemment de d’adapter leurs déclarations publiques afin d’éviter qu’un grand nombre de gens ne soient effrayés au point d’en devenir désespérés ou paralysés. Comment de fois j’ai entendu me dire : « Restez dans le positif ! mettez l’accent sur les solutions ! ». Et aussi, je ne peux pas vous dire combien de fois je me suis assis avec un activiste dont le dernier rapport public était complètement dédié aux solutions, alors que, dans une conversation à cœur ouvert, il m’avouait qu’il ne pensait pas que notre espèce a beaucoup de chance d’éviter une catastrophe majeure voire même l’extinction.

C’est une balance délicate à manier. Si vous dites la vérité sous tous ses aspects, vous n’êtes pas invité aux séminaires politiques et les politiciens vous fuient comme la peste. Si vous édulcorez le message, vous devez vivre en sachant qu’une vaste majorité de gens sur notre planète n’ont presqu’aucune conscience de ce qui va leur arriver et que vous ne leur dites pas. Certains d’entre nous, dans le business des sauveurs du monde gravitent naturellement sur une bande du spectre visible ou l’autre et j’essaie d’être respectueux de la manière dont les gens font leur choix à cet égard. J’aime à penser que je tourne plus autour du « dis la vérité sans concessions » qui se trouve à l’extrémité du continuum mais dans certaines circonstances, je me surprends moi-même à me réserver afin de pouvoir continuer.

En fait, sauveur du monde est en partie une question de relations publiques et politiques. Ce n’est pas ce qui m’a conduit à ce type de métier, mais maintenant que je suis dedans, je réalise que cela provient du domaine concerné.

En quoi constitue le boulot de tous les jours ? Eh bien, il ya beaucoup de temps à passer sur un ordinateur, des emails sans fins, en continuant de produire des nouvelles pertinentes, plus un incessant travail d’écriture. Je suis souvent au téléphone en train de parler avec des reporters ou des intervieweurs, récoltant des soutiens pour mes programmes et en essayant de construire des coalitions. Ironiquement, je me surprends souvent dans un avion, voyageant pour une conférence ou un cours magistral, émettant en chemin des tonnes de carbone. Si vous regardez mon attitude sans être capable de comprendre aucun des langages que j’emploie, vous pourriez penser que je fait à peu près le même travail  qu’un puissant commercial ou quelque chose comme ça. Il ne m’est pas confortable de penser à ça. D’autres sauveurs du monde passent leur temps différemment, en participant à la présentation de projets de différents types, faisant de la bio-remédiation ou organisant leurs communautés.

Quelle est la sécurité de l’emploi ? Chaque fois que quelque chose de mauvais arrive pour l’environnement, tout le monde commence à y prêter attention. Le mouvement anti-nucléaire pourrait, à ce propos, suspendre une bannière célèbrant Three Mile Island et Chernobyl. Le mouvement sur l’épuisement du pétrole a, lui, connu un coup d’accélérateur en 2008 lorsque le prix du pétrole grimpa jusqu’à 150$ le baril. Et le mouvement s’intéressant au changement climatique est écouté à chaque événement météo sérieux ou chaque fois qu’un nouveau rapport sur la disparition des glaces en arctique est publié. De manière générale, nombre d’enjeux que nous défendons tous sont amenés à se dégrader dans le futur tel qu’il est prévu (désolé de dire ça, les amis, mais on est dans pour au moins un sacré siècle) alors notre commerce à nous, les sauveurs du monde, est appelé à se relever rapidement.

D’un autre côté, je n’ai pas de bas de laine pour ma retraite (mais qui en a encore, de nos jours ?). Et quasiment toutes les organisations à but non-lucratif que je connais sont gravement touchées par la Grande Récession.

En fait, la crise économique actuelle est un très gros problème pour l’industrie du sauvetage du monde. Quasiment tout notre argent provient de fondations philanthropiques, et toutes ces fondations ont bien moins à distribuer qu’elle n’avait il y a juste un an de cela. (Considérez qu’en plus, beaucoup de sauveurs du monde travaillent déjà bénévolement et beaucoup d’autres, même s’ils sont encore payés actuellement font ce qu’ils peuvent avec leurs budgets qui s’étiolent ; c’est difficile de faire beaucoup avec pas d’argent du tout et tout le monde a des factures à payer.)

Par ailleurs, la famille moyenne est moins disposée à s’intéresser à une problématique environnementale quand sa survie économique est remise en question ; en fait la grande capacité des gens à regarder plus haut et à se concentrer sur de larges et complexes problématiques commencent à faiblir. « les ours polaires ? qui s’y intéresse ? Rendez-moi juste mon job ! » Une autre étrange ride : cette crise financière souligne la désagréable vérité que le « business-as-usual » ne peut juste plus continuer ainsi. L’important n’est plus de convaincre ces gens d’arrêter de consommer moins ; ils découvrent qu’ils n’ont littéralement plus les moyens d’acheter des voitures, de voyager, et de faire d’autres choses qui entrainent des émissions de carbone. Devrions-nous, nous, les sauveurs du monde, changer notre message en conséquence ?  Je n’entends pas beaucoup de discussions parmi mes collègues à ce propos. Au lieu de cela, il semble que les intervenants des conférences climatiques n’aient pas noté que le commerce mondial a chuté, l’emploi a chuté, l’utilisation d’énergie a chuté au niveau mondial.

Mais attendez : si la consommation mondiale d’énergie a décliné durant les derniers mois, les émissions de carbone déclinent aussi. (note : selon la NOAA, la concentration de CO2 dans l’atmosphère augmente toujours, y-a-t-il un temps de latence, ou y-a-t-il une autre explication à cette divergence entre le déclin de la consommation d’énergie et l’augmentation des concentrations de CO2 ?). Raisonnons comme si les prochaines mesures de cette année indiquaient que la concentration en CO2 est encore en augmentation mais de manière plus lente que précédemment. Essayer d’expliquer pourquoi quelque chose qui est très bien pour l’environnement devrait être corrélé à quelque chose qui est très mauvais et douloureux pour les gens ordinaires est étrange, cela se comprend, c’est pour cela que la possibilité que les émissions soient maintenant en train de décliner est rarement mentionnée. Mais si les émissions sont vraiment en train de baisser et continuent à le faire, non pas grâce aux politiques climatiques mais bien du fait de la contraction économique, nous devrons tôt ou tard révéler ce fait. Et nous ferions mieux d’avoir une bonne histoire à raconter. De mon point de vue, le fait que le mouvement sur le climat soit masqué par la tournure que prennent les événements souligne la nécessité d’un peu plus de révélations sur les liens réels entre énergie et économie.

Connaissons-nous le succès ? Est-ce que le monde se porte mieux depuis que nous essayons de le sauver ? Eh bien, mon opinion est certainement biaisée, étant donné le métier que je fais pour vivre. Aussi déçu que je sois de temps en temps de constater la quasi-futilité que représente mon effort pour tenter de réveiller mes citoyens et leur montrer que nous roulons tout droit vers la plus grande falaise de l’histoire, je ne vois rien de mieux à faire de mon temps. Au final je ne vois pas de meilleur espoir pour l’humanité que les efforts produits par le petit nombre d’individus de notre espèce qui comprennent au moins certains aspects de notre prédiction et suffisamment pour l’expliquer à leurs amis et formuler quelques réponses stratégiques à ce propos.

Est-ce que je recommanderais ce type de métier à d’autres, par exemple à des étudiants qui cherchent une carrière ? Qu’est-ce que vous pariez ?

Il y a sûrement beaucoup d’autres choses à faire dans une vie, mais en même temps, dans des temps comme celui-ci, nous avons besoin de toute l’aide que nous pouvons trouver.

Richard Heinberg

Richard is Senior Fellow of Post Carbon Institute, and is regarded as one of the world’s foremost advocates for a shift away from our current reliance on fossil fuels. He is the author of fourteen books, including some of the seminal works on society’s current energy and environmental sustainability crisis. He has authored hundreds of essays and articles that have appeared in such journals as Nature and The Wall Street Journal; delivered hundreds of lectures on energy and climate issues to audiences on six continents; and has been quoted and interviewed countless times for print, television, and radio. His monthly MuseLetter has been in publication since 1992. Full bio at postcarbon.org.

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